Médecine traditionnelle textes anciens aux  nouveaux médicaments


Le Professeur Karl Wah-Keung Tsim, neurobiologiste à la tête d’une équipe de recherche dans la Division des Sciences de la vie de l’université des Sciences et technologies de l’Université de Hong Kong (Région administrative spéciale de Chine), pense que malgré toutes les difficultés qu’elle peut rencontrer, la médecine traditionnelle chinoise est potentiellement une mine d’or pharmacologique.

«Il existe environ 100 000 formules qui datent de 2000 ans, des médicaments qui peuvent servir à traiter tout un éventail de maladies, de la dépression à l’ostéoporose en passant par l’insomnie», dit-il en signalant que des chercheurs ont déjà trouvé une perle rare, l’artémisinine (qinghaosu en mandarin).

L’intérêt thérapeutique de l’artémisinine pour le traitement du paludisme à Plasmodium falciparum a été mis en évidence en 1972 par le Professeur Tu Youyou, membre de l’Académie chinoise des sciences médicales à Beijing, dont les recherches portaient sur des textes traitant de médecine traditionnelle et sur les remèdes populaires. L’artémisinine est l’une des rares substances dérivées de médicaments traditionnels à sortir des textes anciens pour être utilisées par la médecine contemporaine basée sur la science et c’est certainement, à ce jour, le seul exemple de médicament qui pourrait être qualifié de «perle rare». À cet égard, la médecine traditionnelle chinoise est différente des autres formes de médecine traditionnelle, par exemple la médecine ayurvédique.

La médecine traditionnelle, principalement l’association de plantes prescrites sous forme de composés, est très importante en Chine, où elle représente environ 40% du marché pharmaceutique pour un chiffre d’affaires annuel de 21 milliards de dollars (US$). La médecine traditionnelle, qui a du succès auprès des patients chinois, est également de plus en plus soutenue par le gouvernement. Selon le vice-ministre de la Santé, Wang Guoqiang, en 2011, le gouvernement chinois a investi environ 1 milliard (6 milliards de yuan) dans les travaux de recherche et les projets concernant la médecine traditionnelle, soit près de trois fois plus qu’en 2010.

Sur cette somme, plus de 4 milliards de yuan ont servi à soutenir les services dans les 1814 hôpitaux de médecine traditionnelle existants et un milliard a servi à construire 70 autres hôpitaux. Le Dr Zhang Qi, coordonnateur de l’équipe chargée de la médecine traditionnelle à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), explique que «les hôpitaux traditionnels représentent environ 15% du parc hospitalier» et précise que la médecine traditionnelle chinoise est également proposée dans les «hôpitaux de médecine occidentale» du pays.

La médecine traditionnelle chinoise a une grande importance en Chine et dans les autres pays asiatiques, où, selon l’OMS, jusqu’à 80% de certaines populations y ont recours. Cependant, elle est moins bien acceptée ailleurs, en partie à cause du manque de données probantes et en raison de doutes sur la qualité, dont font état les rapports établis régulièrement par la Medicines Healthcare Products Regulatory Agency du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, qui a indiqué à plusieurs reprises que le commerce mondial de remèdes chinois de qualité douteuse est non négligeable. En mai 2011, afin d’éviter la commercialisation de produits de mauvaise qualité, l’Union européenne a interdit la vente des traitements traditionnels chinois à base de plantes qu’elle n’a pas homologués dans le cadre du système qu’elle a prévu à cet effet.

L’amélioration des normes de qualité des médicaments est l’une des principales priorités de la Chine et le but des travaux du Professeur Liu Liang, directeur du Laboratoire d’état de recherche sur la qualité, à Macao (Région administrative spéciale de Chine), où ses équipes et lui travaillent sur le contrôle de la qualité des médicaments traditionnels chinois en s’appuyant sur des technologies modernes. «Nous cherchons principalement à déterminer comment parvenir des normes permettant une production cohérente, y compris au niveau du processus de fabrication», dit le Professeur Liu Liang.

Bocaux de plantes médicinales rangés sur des étagères

National Center for Complementary and Alternative Medicine, USA/ Bob Stockfield

Les médicaments traditionnels chinois sont testés à l’aide de nouvelles méthodes


Il est encore plus difficile de convaincre les spécialistes de la recherche-développement du fondement scientifique de la médecine traditionnelle chinoise que d’établir des normes de qualité. Mais, dans ce domaine aussi, les chercheurs chinois appartenant à des institutions étatiques ou universitaires progressent. Ils essaient d’isoler les principes actifs des médicaments traditionnels, une tâche ardue car la plupart des médicaments chinois contiennent plusieurs composants.

Même des recettes simples comme celle du danggui– une décoction de deux plantes prescrite pour stimuler le système immunitaire et la circulation sanguine, sur laquelle le Professeur Tsim mène des recherches depuis dix ans – sont complexes sur le plan moléculaire car les plantes contiennent elles-mêmes plusieurs ingrédients. «Une seule plante peut contenir des centaines de composants», affirme le Professeur Tsim.

Le Professeur Yung H. Wong, Directeur de la Division des Sciences de la Vie de l’Institut de recherche en biotechnologie de Hong Kong (Région administrative spéciale de Chine), estime que les biotechnologies de pointe sont essentielles pour percer les secrets de cette complexité. Comme les Professeurs Tsim et Liang, le Professeur Wong est convaincu du potentiel de la médecine traditionnelle qui, surtout, peut offrir des pistes de recherche en biologie. «Dans la culture chinoise, elle fait la preuve de son efficacité dans le traitement des maladies depuis des millénaires», dit-il. «La recherche-développement fondée sur la médecine traditionnelle chinoise accroît les chances d’obtenir des principes biologiquement actifs contre certaines maladies, ce qui représente un énorme avantage en termes de découverte et de mise au point de médicaments», a-t-il ajouté.

Le Professeur Wong et son équipe utilisent une plateforme de criblage à haut débit dotée des dernières technologies. «Nous utilisons cette plateforme pour étudier de grandes collections d’extraits, d’extraits fractionnés et de composés purs», dit le Professeur Wong, en précisant qu’il cible plus de 150 lignées de cellules et plus de 300 molécules.

Pour d’autres chercheurs, c’est justement la complexité des interactions entre les différents éléments des composés présents dans les plantes qui explique l’efficacité des médicaments traditionnels. Loin d’être un obstacle à la recherche pharmaceutique, la complexité est ce qui fait tout l’intérêt de ces recherches. «Si l’on ne s’intéresse qu’aux éléments, on ne voit pas l’ensemble. Comme lorsqu’on essaie de traiter une maladie en ne s’intéressant qu’à son siège», dit le Professeur Yung-Chi Cheng, chercheur en oncologie à l’Université de Yale qui travaille sur le huang qin tang, une association de quatre plantes découverte il y a quelque 1800 ans.

À l’origine, le huang qin tang était prescrit pour soigner la diarrhée et les problèmes gastriques. «Je voulais voir si le huang qin tang atténuait les effets secondaires de la chimiothérapie sans qu’il y ait d’interactions», dit-il. Le Professeur Cheng a identifié les différents éléments du mélange à l’aide de la chromatographie en phase liquide et de la spectrométrie de masse. Il a ensuite eu recours à la phytomique pour étudier l’activité biologique spécifique de chaque composant du mélange de plantes. «À l’aide de ces techniques, nous avons pu identifier 57 substances chimiques», dit le professeur Cheng. Nous avons ensuite établi un profil de réponse biologique en suivant environ 18 000 produits de gènes de cellules humaines pour voir quelles étaient les modifications sous l’effet de la formule.

Le Professeur Cheng a constaté que le composé atténuait l’inflammation de l’appareil gastro-intestinal provoquée par la chimiothérapie, par le biais de trois mécanismes distincts. «Séparément, ces mécanismes ne sont pas très efficaces mais ensemble, ils font une différence remarquable», dit-il. Et chacun de ces mécanismes correspond à une substance chimique différente. Et il y a autre chose encore. «Ce mélange répare les lésions des tissus provoquées par la chimiothérapie et, là encore, les produits chimiques à l’origine de ce phénomène ne sont pas les mêmes que ceux qui suppriment les nausées. Pour le Professeur Cheng, cela montre clairement qu’il est inutile d’essayer de comprendre l’effet biologique de chaque élément de ce composé.

Plus récemment, grâce au financement des National Institutes of Health des États-Unis d’Amérique, le Professeur Cheng a mis au point un médicament, qui se présente sous la forme d’une gélule contenant un produit à base de plantes déshydraté. Ce médicament, qui est sur le point de faire l’objet d’essais cliniques de phase II, sera probablement disponible dans trois à cinq ans. Cependant, pour le Professeur Cheng, il est tout aussi important d’établir des bases scientifiques pour que la médecine traditionnelle chinoise soit respectée que de mettre au point des médicaments. La médecine traditionnelle chinoise est un trésor pour l’humanité qu’il faudrait partager avec le monde entier», dit-il

Un reportage de Gary Humphreys  BULLTIN DE l'OMS



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